Monday 15 October 2012

Notre Archipel Normand, sa langue et sa littérature (2)

J'bliodgons un discours qu'AA Le Gros fît en Dgèrnésy en 1872.

We're blogging an 1872 literary lecture by Jèrriais author AA Le Gros (report published in French).

M. Le Gros nous a montré comment l'étude des langues était l'étude de l'histoire des peuples. Notre ancien patois, étudié avec soin, peut nous révéler bien des choses ayant rapport à l'ère préhistorique de nos îles, sur les premières peuplades qui y sont venues, sur les envahisseurs qui s'en sont successivement emparés, jusqu'au temps où la langue normande s'est formée dans les ouvrages des trouvères normands.
Après une revue de l'origine des langues européennes, l'orateur a cité Amédée Thierry sur l'époque de la venue des Galles, qu'il fixe à environ 2,000 ans avant J.-C. et a raconté comment nos îles étaient alors bein différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui, Jersey séparé de la Gaule par un ruisseau, notre bailliage étant probablement une seule île. Le cataclysme de la forêt de Scissy ne date que de 709, c'est un fait historique. Le 7e siècle avant J.-C. vit l'arrivée des Kymry, que les Romains trouvèrent installés dans nos parages. Peu à peu la langue celtique se mêla avec la langue latine. Après, les hommes du Nord apparurent sur la scène, Hastings et Rollon s'établirent à la Hague et dans les îles; bien de nos noms de famille et de nos localités témoignent de l'influence scandinave, nous leur devons cet esprit aventurier et navigateur qui a toujours caracterisé le Guernesiais et le Jersiais. Le côté de l'est de nos îles offre le type scandinave dans la physionomie et dans la taille, dans l'ouest on trouve le type celtique.

La langue d'oïl s'est faite du 9e au 12e siècle par la défaite et la spoliation des populations gallo-romaines. Le latin dans nos régions ne céda que devant la hache de Rollon; la poésie, pour se faire comprendre des Normands, eut besoin de parler patois. La langue d'oïl prit la place de la langue romaine au 12e siècle, le premier qui osa l'écrire ce fut les fils d'un paysan de Jersey. Ecoutons François Hugo: "Langue d'oc au Midi, et langue d'oïl au Nord! Ces deux rivales se partagent la France et se la disputent! Qui l'emportera des deux? Qui triomphera, du Normand ou du Gascon? de Robert Wace ou de Bernard de Ventadour? du trouvère ou du troubadour? Qui l'emportera du patois de Toulouse ou du patois de Jersey?"


Le temps a tranché la question. La langue de Wace est devenue la langue franç
aise, la belle langue du Midi est tombée sous les coups décisifs de Simon de Montfort, et ne s'appelle plus que Provençal, Gascon et Catalan.

La langue normande a toute une littérature dans les oeuvres de ses trouvères. Les Celtes avaient leurs bardes, les hommes du nord leurs Skalds. Plus tard ceux qui écrivaient leurs oeuvres furent appelés Trouvères. Au 12e siècle, est né, dans nos îles, à Jersey, un enfant qui devait devenir célèbre, Wace, l'Homère de la Normandie. Sa famille a occupé une place honorable dans les îles pour des siècles; elle a possédé plusieurs fiefs en Angleterre après la conquête; en 1301, Colin Wace était un des principaux habitants de St.-Hélier, le nom s'est éteint vers le 17e siècle. En 1160, Wace termina son principal ouvrage, le Roman de Rou, et le dédia à Henri II, qui le nomma chanoine de Bayeux. Nous ne suivrons pas M. le Gros dans ses citations du grand jersiais, que l'auditoire a comprises parfaitement malgré les sept siècles qui nous séparent; il a bien fait de le citer, Wace appartient à nos îles; il parle, sauf les changements causés par le temps, la même langue que nous. Les îles de la Manche ont conservé dans les campagnes la vieille langue d'oïl. Wace a été pour la langue française ce que Geoffry Chaucer a été pour la langue anglaise. Après lui "le patois normand va se modifier sous l'effet d'une nation entière; il va s'épurer de siècle en siècle sur les lèvres du génie; au 13e siècle, Geoffroy de Villehardouin le parlera ; au 14e Jean Froissard le parlera; au 15e Philippe de Comines le parlera; au 16e François Rabelais, Pierre Ronsard, Michel Montaigne, Mathurin Régnier le parleront. Au 17e il sera la langue française dans la bouche de Pierre Corneille. Un Normand a commencé la langue française, un Normand l'achèvera."

M. Le Gros a énuméré les trouvères pendant leur âge d'or, les 12e et 13e siècles, Benoît de Ste. Maure, Walter Map, Guillaume de Saint Pair, qui écrivit le Roman du Mont St.-Michel, Marie de France, la Sappho de son temps. Les trouvères écrivaient alors tant en Normandie qu'en Angleterre. Au 14e siècle la langue normande se parlait dans la grande île. Jean Gower, barde anglais, écrivait également en normand. L'orateur a récité de belles stances de ces trouvères. Nous n'avons jamais entendu de poésie mieux débitée. Le 15e siècle nous a donné Jean de Courcy et Alain Chartier, natif de Bayeux, le dernier qui a porté le nom de trouvère. Quelle vérité dans sa description du français d'alors!

"Nous devons tous nos maux à nos divisions
Que nourrit notre intolérance:
Il est bon d'immoler au bonheur de la France
Cet orgueil ombrageux de nos opinions.
Etouffons le flambeau des guerres intestines."

Un autre Normand, au 16e siçle, Jean Vauquelin de la Fresnaye, va continuer l'oeuvre de transformation. M. Le Gros nous a répété son magnifique dialogue entre la Terre et le Ciel.

A la fin du 15e, au commencement du 16e siècle, parurent les chansons qu'on appelle Vaux de Vire, attribuée à Olivier Basselin, nom de guerre d'un avocat de Vire:

"Vecy le may, le jolli moys de may,
Qui nous demaine!
Au jardin de mon père entray,
Vecy le may, le jolly moys de may!"

Enfin, Malherbe vint; il nâquit à Caen en 1555. Nous en avons eu de jolies citations. De Malherbe à Corneille il n'y a qu'un pas; l'auteur du Cid et de Cinna. Voilà la langue française formée.

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